Les cyberattaques ont explosé ces dernières années, portées par la généralisation du télétravail, la dépendance au numérique et l’industrialisation des techniques criminelles.
Le phénomène touche aussi bien les acteurs publics que privés, quelles que soient leur taille ou leur activité.
Les alertes presque quotidiennes de l’ANSSI témoignent de l’ampleur du risque, mais aussi des conséquences financières, opérationnelles, réputationnelles et juridiques auxquelles les organisations doivent désormais se préparer.
Comprendre les mécanismes de responsabilité en cas de cyberattaque est devenu indispensable.
Une entreprise victime n’est jamais uniquement confrontée à des enjeux techniques ; elle doit immédiatement gérer des risques pénaux, administratifs et civils, qui concernent autant l’entité elle-même que ses dirigeants ou ses prestataires.
Ce guide présente l’ensemble des règles applicables et les réflexes juridiques à connaître :
- La responsabilité pénale de l’auteur de la cyberattaque
- Comment l’entreprise doit réagir en cas
- La responsabilité administrative de l’entreprise victime
- La responsabilité civile
- Responsabilité du responsable de traitement
- Responsabilité pénale du RSSI
1. La responsabilité pénale de l’auteur de la cyberattaque
Même lorsque l’entreprise est victime, la première question juridique porte sur l’auteur de l’intrusion.
Le droit pénal français repose principalement sur la loi Godfrain, qui a instauré un arsenal juridique dédié aux atteintes aux systèmes de traitement automatisé des données.
Accéder ou se maintenir frauduleusement dans un système, entraver son fonctionnement ou modifier les données qu’il contient expose son auteur à des peines allant de trois à sept ans d’emprisonnement, avec des amendes pouvant atteindre 300 000 euros. Les sanctions sont aggravées lorsqu’un système étatique est visé, et la bande organisée porte la répression à dix ans.
Les infractions de droit commun s’appliquent également. Une opération de phishing ou une fraude par usurpation d’identité relève souvent de l’escroquerie.
Les rançongiciels, eux, s’analysent comme une extorsion et peuvent entraîner jusqu’à vingt ans d’emprisonnement en cas de bande organisée.
La collecte illicite de données personnelles, telle que le recel d’informations piratées, peut compléter la qualification pénale selon les faits.
Contrairement à une idée reçue, l’auteur n’est pas toujours un acteur externe : un salarié malveillant ou négligent peut être poursuivi de la même manière qu’un groupe cybercriminel étranger.
2. Comment l’entreprise doit-elle réagir ? Le rôle stratégique du parquet J3
Déposer une plainte dans un commissariat généraliste s’avère rarement efficace pour des faits aussi techniques.
La justice française s’est dotée d’un parquet spécialisé, le parquet J3 du tribunal judiciaire de Paris, compétent pour l’ensemble des infractions cyber.
Une plainte motivée adressée directement à ce parquet permet une prise en charge rapide : alors que l’enregistrement d’une plainte peut prendre plusieurs semaines dans une juridiction classique, il intervient généralement en vingt-quatre heures au parquet J3, avec une saisine quasi immédiate des enquêteurs spécialisés du C3N ou de l’OFAC.
La rédaction juridique de cette plainte est un enjeu essentiel : elle doit articuler les dimensions contractuelles, assurantielles et de protection des données personnelles, afin de sécuriser l’ensemble du dossier.
Lorsque les faits relèvent du crime ou que l’enquête stagne, une plainte avec constitution de partie civile peut également être déposée.
3. La responsabilité administrative de l’entreprise victime
Être victime d’une cyberattaque n’empêche pas d’être sanctionné.
En matière de protection des données, le RGPD impose des obligations fortes dont les manquements ressortent souvent lors d’un incident.
3.1 Obligations issues du RGPD
Le responsable de traitement doit mettre en œuvre des mesures de sécurité adaptées ; l’absence de chiffrement, de double authentification ou de supervision peut constituer un manquement.
Dès qu’une violation de données survient, l’entreprise doit la signaler à la CNIL dans un délai de 72 heures, documenter précisément l’incident et informer les personnes concernées si le risque est élevé.
La CNIL peut prononcer des amendes pouvant atteindre dix millions d’euros ou deux pour cent du chiffre d’affaires mondial.
Au-delà de ces sanctions administratives, le Code pénal prévoit une infraction spécifique sanctionnant le défaut de mesures de protection exigées par le RGPD, passible de cinq ans d’emprisonnement.
3.2 Obligations issues de la directive NIS2
La directive NIS2, qui s’appliquera prochainement en droit français, impose un cadre encore plus exigeant.
Elle requiert des audits, des plans de gestion des incidents, la transmission de rapports à l’ANSSI sous vingt-quatre heures, ainsi qu’une politique globale de cybersécurité.
Les entités essentielles peuvent être sanctionnées jusqu’à dix millions d’euros ou deux pour cent du chiffre d’affaires mondial, tandis que les entités importantes encourent des sanctions légèrement inférieures.
La particularité majeure de NIS2 réside dans la responsabilité des dirigeants. Ceux-ci peuvent être personnellement mis en cause lorsqu’un manquement grave est constaté.
Leur implication dans la supervision de la cybersécurité devient obligatoire, et des sanctions comme la suspension temporaire ou l’interdiction d’exercer peuvent être prononcées.
4. La responsabilité civile : société, dirigeants et prestataires concernés
4.1 Responsabilité de l’entreprise
Une cyberattaque peut révéler un manquement contractuel de la société à ses obligations de sécurité.
Un partenaire commercial, estimant que l’attaque résulte d’un défaut de protection des systèmes ou des données, peut solliciter la résolution du contrat ou demander des dommages et intérêts.
Les tiers non liés par un contrat ne sont pas dépourvus d’actions : ils peuvent engager la responsabilité délictuelle de l’entreprise s’ils démontrent qu’un défaut de sécurité a causé ou aggravé leur préjudice.
4.2 Responsabilité personnelle des dirigeants
Le principe reste que c’est la société qui répond des dommages.
Toutefois, un dirigeant peut engager sa responsabilité envers la société en cas de faute de gestion.
Par exemple, s’il refuse des investissements essentiels, néglige les alertes internes ou omet délibérément de mettre en place des mesures nécessaires.
Envers les tiers, seule une faute détachable des fonctions peut être retenue. Il s’agit d’un comportement intentionnel d’une gravité inhabituelle, comme :
- la dissimulation volontaire d’un incident,
- l’inaction face à une vulnérabilité critique,
- ou le mensonge à une autorité de contrôle.
4.3 Responsabilité des prestataires informatiques
Les prestataires jouent un rôle déterminant dans la sécurité des systèmes d’information.
Une décision du tribunal de commerce de Paris de 2025 a retenu la responsabilité d’un sous-traitant dont le défaut de sécurisation d’un serveur avait directement permis le piratage.
La jurisprudence reconnaît également que le prestataire doit informer son client des risques cyber et le conseiller sur les mesures adaptées, faute de quoi il engage sa responsabilité.
5. Responsabilité du responsable de traitement en cas de cyberattaque
Le RGPD prévoit que toute personne ayant subi un dommage en raison d’une violation de données peut obtenir une réparation.
Le responsable du traitement ne peut s’exonérer que s’il démontre que le dommage ne lui est pas imputable.
La CJUE a confirmé que même si l’attaque provient d’un tiers malveillant, la responsabilité du responsable peut demeurer engagée lorsque des mesures de sécurité insuffisantes ont rendu l’intrusion possible.
6. Responsabilité pénale du RSSI
Le RSSI peut devenir personnellement responsable lorsqu’il bénéficie d’une délégation de pouvoir lui conférant des compétences techniques, des moyens, de l’autonomie et de l’autorité.
Dans ce cas, la responsabilité pénale du dirigeant peut être transférée au RSSI, notamment en cas de manquement grave aux obligations de sécurité.
Pourquoi faire appel à un avocat en cas de cyberattaque d’entreprise?
Lorsqu’une entreprise est victime d’une cyberattaque, les premiers réflexes sont souvent techniques : isoler le système, analyser l’incident, restaurer les sauvegardes.
Pourtant, la cyberattaque n’est jamais un simple incident informatique : elle entraîne immédiatement des risques pénaux, administratifs, contractuels, assurantiels et réputationnels qui doivent être gérés avec précision et cohérence.
C’est à ce stade qu’un avocat spécialisé devient indispensable.
L’avocat intervient d’abord pour sécuriser juridiquement la réaction de l’entreprise.
Chaque décision prise dans les premières heures peut avoir un impact sur la responsabilité de l’organisation, de ses dirigeants ou de ses prestataires.
Il s’agit notamment d’identifier les obligations légales applicables — RGPD, directive NIS2, clauses contractuelles, exigences assurantielles — afin que la réponse à l’incident soit conforme et documentée.
Une mauvaise notification, une déclaration imprécise ou un défaut de documentation peut entraîner des sanctions de plusieurs millions d’euros.
L’autre rôle déterminant de l’avocat consiste à gérer l’articulation entre les responsabilités : la responsabilité de l’auteur de l’attaque, mais aussi la responsabilité potentielle de l’entreprise ou de ses fournisseurs.
Il coordonne la stratégie juridique globale, depuis les obligations de notification jusqu’aux actions de recours contre les prestataires dont les manquements auraient contribué à la survenance ou à l’impact de l’incident.
L’avocat est également un acteur central de la rédaction et du dépôt de la plainte auprès du parquet J3, la juridiction spécialisée en cybercriminalité.
Une plainte bien structurée et juridiquement argumentée permet une prise en charge plus rapide par les services spécialisés, ce qui augmente les chances d’identifier les auteurs et facilite ensuite les recours assurantiels ou indemnitaires.
Au-delà de la gestion immédiate, l’avocat joue un rôle stratégique dans la prévention.
L’analyse des failles juridiques révélées par l’incident permet de renforcer la gouvernance de la cybersécurité, de revoir les contrats de sous-traitance, d’actualiser les politiques internes ou encore de structurer les délégations de pouvoirs.
L’entreprise sort ainsi de l’incident mieux armée juridiquement pour faire face aux futures attaques.
Enfin, dans un contexte où la responsabilité personnelle des dirigeants est de plus en plus engagée — notamment sous l’effet de NIS2 — l’avocat apporte une protection juridique individuelle précieuse.
Il permet de limiter les risques de mise en cause personnelle, d’anticiper les attentes des autorités et de documenter les décisions prises afin de démontrer la diligence de la gouvernance.


